méditation du jour
Surprise, silence et Bonne Nouvelle
Elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur. Cette fin énigmatique, qui refuse même de conclure, a déconcerté les lecteurs dès les premières générations chrétiennes.
Doit-on conclure qu’il n’y a rien à faire, rien à dire, que la Bonne Nouvelle fait inéluctablement son chemin ? Eh bien oui, d’une certaine manière. Ainsi le royaume de Dieu vient-il, nous dit Jésus, comme la moisson dans un champ ensemencé : Que [le paysan] dorme ou qu’il se lève, de nuit et de jour, la semence pousse et grandit : comment ? Il ne le sait pas. La terre, de son propre mouvement, produit du fruit (Mc 4, 27-28).
Et pourtant, l’Évangile vient à nous par des témoins qui l’ont annoncé. Il n’est en rien une impression diffuse qui émergerait sans raison chez tel ou tel. Il est vraiment une parole que des êtres ont entendue, à laquelle ils ont acquiescé, qu’ils ont choisi de proclamer. L’Évangile est toujours « personnalisé », porté par une personne.
Ainsi donc, la Bonne Nouvelle va son chemin toute seule, mais en même temps elle se cherche des témoins qui la porteront au monde entier (Mc 14, 9). Ce paradoxe se décline en beaucoup d’autres. Par exemple, en celui-ci : annoncer l’Évangile, c’est d’abord se taire. Mais, dira-t-on, ces femmes ne semblent pas du tout entrer dans un quelconque mystère ; elles fuient bien plutôt le lieu d’une expérience qui les a bouleversées et terrorisées : un tombeau, un corps absent, un homme surprenant qui les a abordées.
Les femmes éprouvent stupeur (ekstasis, « extase »), tremblement et peur. Dans le tombeau vide dont la pierre a été roulée, en présence du messager qui leur parle, elles entrent dans un nouveau régime de vie. Leur peur, leur « extase », leur silence ont formé le terreau où l’Évangile s’est implanté.
Philippe Lefebvre, o.p.
Le frère Philippe Lefebvre est religieux de l’ordre de saint Dominique, prêtre et professeur d’exégèse à l’université de Fribourg, spécialiste de l’Ancien Testament. Ancien élève de l’E.N.S., il est agrégé de lettres classiques et docteur ès lettres. / « Elles ne dirent rien à personne », in La Cour Dieu, avril 2009, lacourdieu.com.